Une des pratiques favorites des peintres modernes
La pratique du pastel par Mikhaïl Larionov était bien connue et fortement appréciée à son époque. L’existence et l’importance des pastels dans sa création (et dans celle de Gontcharova) sont par ailleurs attestées par plusieurs lettres de l’artiste, où il mentionne les pastels à égalité avec les peintures à l’huile.
Les pastels de Larionov figurent dans les catalogues de plusieurs expositions des années 1906 à 1915, de même que dans le premier répertoire sommaire de sa création, dressé par Ilia Zdanévitch en 19131Cf. Eganbury (pseudonyme de Ilja Zdanévitch), Natalija Goncharova, Mikhail Larionov, Moscou, 1913, annexe documentaire p. XVI-XXI.. Dans ce catalogue, publié par Larionov à Moscou et établi sous sa direction, des pastels figurent dans la production de l’artiste pour les années 1898, 1900, 1904 (œuvres conservées dans la collection d’Ivan Morozov, chez Valentina Khodashevich et chez d’autres collectionneurs). La présence des pastels est également attestée dans les catalogues et les commentaires des expositions russes de Larionov (1909, 1911 et autres). Un des pastels de l’année 1906 bénéficia d’une réputation particulière et fut acquis par le collectionneur Troïanovskii (aujourd’hui coll. de la Galerie Nationale Trétiakov de Moscou).
La technique du pastel était particulièrement prisée à Moscou par les peintres d’orientation pro-occidentale (Valentin Serov, Victor Borissov–Moussatov), les impressionnistes français (Manet, Renoir, Monet et surtout Degas), les symbolistes (Fantin-Latour, Odilon Redon). Bonnard et Vuillard, peintres qui, gravitant dans l’entourage de la Revue Blanche, excellaient dans cette technique. La rapidité de transcription des impressions que favorisait la technique du pastel correspondait parfaitement aux exigences d’éclat des couleurs et surtout à l’immédiateté avec laquelle il fallait saisir l’impression du moment. La spécificité du pastel correspondait en conséquence parfaitement aux postulats impressionnistes et expressionnistes de Larionov. En Europe occidentale on trouve l’écho de cette passion pour la couleur expressive – on citera Odilon Redon – dans les pastels de Munch ou Kupka et dans ceux d’autres peintres centre européens de la mouvance symboliste et expressionniste (le polonais Wojciech Weiss, 1870-1950, le pragois Antonin Slavicek, 1875-1910 et bien d’autres).
Larionov avait eu l’occasion de voir à plusieurs reprises les résultats les plus éclatants de cette technique ; en 1906, lors de son voyage à Paris et à Londres, et non moins à l’occasion de ses visites à Serguei Chtchoukine, collectionneur renommé et ami de Larionov qui possédait certains parmi les plus remarquables pastels de Degas.
Le rapport du pastel à la peinture à l’huile, et en particulier les résultats obtenus sur le même motif, reste encore un sujet peu exploré par l’histoire de l’art moderne et ce non seulement en ce qui concerne la peinture du début du vingtième siècle (fauve et expressionniste) mais aussi celle des impressionnistes. L’exemple de Renoir et surtout celui de Claude Monet montrent bien que les résultats provenant de la différence des moyens techniques employés – pastel ou huile – conduisent à des registres stylistiques fort différents.
Ces remarques s’appliquent avec la même pertinence à la création de Degas dont les résultats de la pratique du pastel dépassent indiscutablement ceux de sa peinture à l’huile. Degas allait pousser encore plus loin ces raffinements coloristes dans ses monotypes, où le pastel engage un dialogue fructueux avec la noirceur expressive de la lithographie en y associant l’éclat soudain de la peinture à l’huile. L’utilisation de certains pigments, nouvellement mis sur le marché, comme les peintures à l’anyline, que l’on trouve dans certaines séries de gouaches (voir le catalogue de l’exposition 1987 nos 152, 153, 154 et 157) témoigne d’autre part de la recherche de nouveaux effets lumineux, recherche inhérente à l’esthétique expressionniste de Larionov.
On rappellera aussi la grande curiosité des artistes de la mouvance esthétique de Larionov pour des peintures plus éclatantes, ce que reflète la production artisanale et proprement expérimentale des couleurs. Ces tentatives sont attestées aussi bien dans le milieu russe de Munich2Voir à ce sujet les mémoires du peintre Dmitrij Kardovskij, ami de Kandinsky et ceux d’Igor Grabar, peintre impressionniste et futur directeur de la Galerie Trétiakov. qu’à Moscou. Certaines de ces expériences étaient à tel point fantaisistes, donc techniquement aussi bien qu’artistiquement non conventionnelles, qu’elles aboutirent à des accidents. En témoigne en 1912 l’incendie bien connu de l’atelier moscovite de Ilia Machkov, provoqué par les expériences chimiques, liées à la production improvisée des couleurs.
- 1Cf. Eganbury (pseudonyme de Ilja Zdanévitch), Natalija Goncharova, Mikhail Larionov, Moscou, 1913, annexe documentaire p. XVI-XXI.
- 2Voir à ce sujet les mémoires du peintre Dmitrij Kardovskij, ami de Kandinsky et ceux d’Igor Grabar, peintre impressionniste et futur directeur de la Galerie Trétiakov.